Chapitre 3. Militantisme culturel.
(…) D’autre part, nous savons fort bien que la société tente de tout absorber et de tout transformer à sa convenance. Tant que la “nouvelle culture” - c’est le noeud du problème - n’amènera pas au niveau des situations concrètes de la vie quotidienne, tant qu’elle n’aura pas de répercussions sur l’ordre établi les tenants de cet ordre pourront y applaudir, sans courir le moindre danger. On trouve même “amusante” une certaine critique sociologique, tant qu’elle demeure générale et abstraite.
Non. Il ne fait aucun doute que l’apprentissage des choses “essentielles” que pourraient nous transmettre d’autres cultures est toujours entouré de secrets et de mystères. Comme le dit Watts, il existe une sorte de “conspiration” pour nous maintenir dans l’ignorance de ce que nous sommes réellement, pour nous “aliéner”. (…)
© Antoni Tapiès, La Réalité comme Art, Paris, Daniel Lelong édition, 1989. p.79.
Beaucoup de gens sont convaincus que l’ouverture culturelle est autre chose qu’une amusante mode vestimentaire, qu’elle implique des objectifs extrêmes sérieux et risqués. Mais il est également urgent de se rendre compte que la culture ne peut se réduire à un catalogue de connaissances, aussi sophistiquées soient-elle. (…) “L’érudition ne qualifie personne pour être un maître”, disait Confucius. Et Yutang nous rappelle que “l’homme véritablement cultivé ou éduqué n’a jamais été un homme qui a nécessairement beaucoup lu ou beaucoup appris, mais celui à qui plaisent les choses qui doivent plaire et à qui déplaisent celles qui doivent déplaire”, avec tout ce que cela implique pour les choix et les décisions de la vie quotidienne. “Parlant d’un sage, les anciens Chinois voyaient tout de suite la différence entre l’érudition, d’une part, et le comportement, le goût et le jugement, de l’autre(…). Un homme éduqué est fondamentalement celui dont les amours et les haines sont justes.” Lin Yutang. La culture est donc intimement liée à des principes généraux de base, mais qui se manifestent dans des prises de position concrètes, qui peuvent se heurter - cela arrive tous les jours - aux lois établies. Aussi étrange que cela puisse paraître, dans toutes les grandes traditions, la culture comporte aussi une grande part d’audace, d’indépendance de jugement et de défi à tout ce qui peut contraindre, opprimer ou censurer. Elle doit être un engagement au quotidien aussi bien contre les attentes à la liberté que contre les plus petites profanations, dans le domaine de l’amour, du travail ou du milieu naturel dont nous avons besoin pour vivre. Elle implique aussi une solidarité politique totale avec les organisations qui luttent dans ce sens. Elle exige une pureté du regard, une innocence et une confiance presque enfantines… (Et malheur à celui qui perd ou abdique son droit au jugement personnel : il est condamné à accepter d’emblée toutes les tromperies du monde !)
© Antoni Tapiès, La Réalité comme Art, Paris, Daniel Lelong édition, 1989.
La culture authentique confère une marque de fraîcheur et de santé, de plénitude et de sérénités, fondée sur l’intuition ou la connaissance ultime de notre être, et perceptible dans tous les actes de la vie quotidienne. Elle est la réalisation de l’homme, la Vie même, débarrassée des entraves de l’ego, de tous les dualismes hérités d’une culture absurde et morte, de cette “morale d’esclaves” qui ne sert que les intérêts d’une classe jusqu’à présent dominante, mais heureusement de plus en plus décadente.
Publié dans La Vanguardia le 28 mars 1975.
© Antoni Tapiès, La Réalité comme Art, Paris, Daniel Lelong édition, 1989.
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